« Le destin de notre époque est caractérisé par le désenchantement du monde. » Au tournant du XXe siècle, alors que la religion commence à se séculariser et que le capitalisme triomphe en Occident, Max Weber tente de comprendre les ressorts de ces évolutions. Quelles sont les valeurs qui caractérisent la Modernité et comment se sont-elles imposées ?
D’après ce penseur, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie, tout tient à la « rationalisation » du monde. La raison instrumentale ordonne progressivement les savoirs et les pratiques, dans un processus qui rend désormais tout phénomène explicable par la science. Le désenchantement du monde correspond ainsi à « la fin de la magie comme technique de salut ». La religion n’est plus ce qui donne un sens à notre vie.
Fils d’une riche famille protestante, formé au droit, Weber devient sociologue des religions avant d’ajouter l’économie à son arc. C’est avec L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905) qu’il livre sa première œuvre d’envergure.
Weber analyse le rôle des sectes puritaines (calvinistes, méthodistes…) dans la montée en puissance du capitalisme aux États-Unis à partir du XVIIe siècle. Il existe selon lui des « affinités électives » entre ces différentes ascèses et « l’ordre économique moderne », caractérisé par le règne de l’argent et de l’accumulation matérielle.
Pour ces églises, en effet, rien ne garantit aux fidèles qu’ils iront au paradis après leur mort. En revanche, ces derniers peuvent trouver sur Terre des signes de leur élection. Il leur faut donc travailler sans relâche pour rendre grâce à Dieu et espérer ainsi être sauvé. Mais cette course au succès effrénée tourne à vide : « L’idée du devoir professionnel erre dans notre vie comme un fantôme des croyances religieuses d’autrefois. »
Weber forge le concept de « chape d’acier » (qu’on retrouve parfois traduit par « cage de fer ») pour décrire un tel monde régi par l’intérêt et le calcul. Cette métaphore souligne que les sociétés libérales, pensant s’être affranchies de la superstition et du joug des autorités, sont en réalité toujours aliénées. Le monde matériel est devenu leur nouveau maître.
Le désenchantement du monde passe aussi par la segmentation des activités humaines. Weber l’illustre à travers l’étude de deux « vocations », dans Le Savant et le politique (1919). Il explique notamment pourquoi les scientifiques, de plus en plus spécialisés, doivent éviter tout « jugement de valeur » pour bien comprendre les faits.
Le sociologue s’inscrit lui-même dans cette démarche, puisqu’il défend une neutralité axiologique qui différencie justement les savants des décideurs. La politique étant devenue un métier, elle obéit quant à elle à de nouvelles règles, comme la bureaucratisation ou le fait d’accorder une place accrue aux prévisions.
Weber décrit également ce qui fait la spécificité de l’État moderne, dans une formule bien connue : « Il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé, revendique avec succès le monopole de la violence physique légitime. »
Ce texte très dense établit aussi la distinction entre « l’éthique de responsabilité » et « l’éthique de conviction ». La première correspond par exemple à l’approche des militants ou des associatifs, qui sont tenus d’obéir à leurs principes sans faire de compromis ; la seconde, aux politiques, qui doivent eux composer avec le réel.
La méthode employée par Weber a profondément marqué la sociologie. Alors que Durkheim s’intéressait aux « faits sociaux » de manière globale, Weber part plutôt des individus et de leurs motivations (c’est « l’individualisme méthodologique »). On retrouvera enfin dans son ouvrage Économie et société (1921) une synthèse de ses recherches sur l’évolution des sociétés anciennes vers la Modernité.